jeudi 1 octobre 2020

Flûte baroque et informatique musicale

Il y a des rencontres musicales qui peuvent sembler improbables mais qui, un jour se concrétisent à partir d'une idée lancée dans le feu d'une discussion. C'est précisément le cas d'un projet avec Jean-Pierre Menuge, flûtiste baroque et facteur de clavecin, directeur de l'association les Heures Musicales de la Vallée de la Bresle qui irradie sur les territoires normands et picards via ses différentes actions culturelles et musicales. Lors d'un repas commun chez l'ancien président - et aujourd'hui président d'honneur - des Heures Musicales de la Vallée de la Bresle, Jean-Claude Chedeville, en ce début d'année 2018, l'idée d'une création réunissant flûte baroque et l'informatique musicale a fusé. Et cette suggestion, par Jean-Pierre me semble-t-il, autour du conte d'Andersen le Rossignol et l'Empereur,  a  été reprise d'emblée à la volée avec une certaine excitation de part et d'autre. 
Aujourd'hui, après avoir testé la fiabilité d'une telle rencontre, d'un tel mariage de deux univers musicaux très différents, le projet a bien avancé et se révèle riche de découvertes et de surprises.

Un rossignol et un Empereur de Chine

Illustration du rossignol en cage dans le spectacle  de marionnettes à fils "Le Rossignol de l'Empereur de Chine " par la compagnie mine d'Artegens. 


Des surprises et des découvertes notamment  autour de la musique chinoise ancienne et traditionnelle. Car cette dernière est bien plus riche que cette échelle pentatonique que nous pouvons jouer sur les touches noires du piano ou d'un clavier : do#/réb - ré#/mib - fa#/solb - sol#/lab, la#/sib. Ainsi, les théoriciens chinois avaient découvert aussi le tempérament égal via le système des "lyu", une série de douze sons engendrée par le cycle des quintes et qui correspondaient aux douze lunes et aux douze mois de l'année. Ce système, qui daterait du IIIe millénaire avant notre ère avait été élaboré à partir de tuyaux sonores, a été décrit entre autres, par les Jésuites missionnaires dès le XVIIe siècle et sur lesquels je reviendrais. Et dans un cadre contemporain,  notamment via les articles du professeur d'ethnomusicologie à la Sorbonne et chercheur à l'Institut de Recherche en Musicologie, François Picard (La musique chinoise; Minerve, 1991, 215 p.). 

Explorer avec les outils de la CAO

Il existe de nombreuses variations des échelles issues de la musique chinoise ancienne et traditionnelle et qui, selon leurs différentes structures intervalliques (notamment via leurs permutations ou permutations circulaires), donnent une couleur spécifique aux mélodies et thèmes de cette Chine Ancienne et traditionnelle.
Il est aisé avec les outils de la CAO d'explorer ces différentes structures intervalliques (SI), de les permuter, de les transposer. Et c'est aussi un bon point de départ pour découvrir les possibilités offertes par ces logiciels qui peuvent sembler pour le moins compliqués sinon austères par les musiciens. Or, une fois assimilée la logique du langage LISP et de ses fonctions pré-définis, les logiciels comme Open Music, PWGL ou Opusmodus, se révèlent avec la programmation graphique ou par script des assistants de composition particulièrement puissants et utiles pour traiter le matériau musical.
Ainsi, la librairie du logiciel de CAO Opusmodus créé par Janusz Podrazik et porté sur Mac propose concernant la Chine pas moins de 34 modes ou échelles, et dont certains se recoupent selon leurs structure intervalliques, les permutations ou transpositions. 
Si on choisit pour exemple le mode "gu-xian" (do - mi bémol - fa - sol - si bémol) on peut le transposer afin d'examiner ses différentes moutures de façon chromatique et, pourquoi pas, en utilisant le principe de transposition élaboré par Pierre Boulez pour élaborer ses matrices de transposition 12x12 du Marteau sans maître et Structure Ia,  où contrairement aux opérations P I R RI (prime, inversion, rétrograde et rétrograde de l'inversion) la structure intervallique de la série est reportée successivement sur chacune des hauteurs de la série.

Concrètement, avec Opusmodus (OPMO), on sélectionne  et on extrait le mode gu-xian de la librairie d'OPMO à partir de la fonction library puis on affiche le mode avec la fonction expansion-chord-name, résultat qui est stocké en quelque sorte dans la variable "mode" :

(setf mode (expand-chord-name (library 'modes 'china 'gu-xian) :type :pitch))
=> (c4 eb4 f4 g4 bb4)



Les hauteurs dans OPMO se notent à partir de la notation anglo-saxonne (C = Do...B=Si, le # étant remplacé par "s") et à laquelle est accolée le rang de l'octave. Le même type de fonction peut-être aussi utilisé pour calculer la structure intervallique du mode exprimée en demi-tons, la différence est liée à la précision donnée par les ajouts :type :pitch ou interval :

(setf mode (expand-chord-name (library 'modes 'china 'gu-xian) :type :interval))
=> : (3 2 2 3).

Pour transposer le mode sur une base chromatique le processus consiste à accoler la structure intervallique du mode gu-xian (3 2 2 3) sur chacune des hauteurs de la gamme chromatique.
On crée la gamme chromatique avec la fonction make-scale 'C4 12, ce qui correspond à une suite arithmétique de 12 hauteurs, avec une note de départ, en l'occurrence Do4, et avec un pas d'incrémentation d'un demi-ton et en lui attribuant le nom de variable transpchromatic :

(setf transpchromatic (make-scale 'c4 12))  => (c4 cs4 d4 eb4 e4 f4 fs4 g4 gs4 a4 bb4 b4)

Ensuite avec la fonction gen-repeat on calcule douze fois la répétions du mode via son nom de variable mode et pour ces 12 répétitions on leur attribue le nom de variable repmode  :

(setf repmode (gen-repeat 12 (list mode ))) => ((c4 eb4 f4 g4 bb4) (c4 eb4 f4 g4 bb4) (c4 eb4 f4 g4 bb4) (c4 eb4 f4 g4 bb4) (c4 eb4 f4 g4 bb4) (c4 eb4 f4 g4 bb4) (c4 eb4 f4 g4 bb4) (c4 eb4 f4 g4 bb4) (c4 eb4 f4 g4 bb4) (c4 eb4 f4 g4 bb4) (c4 eb4 f4 g4 bb4) (c4 eb4 f4 g4 bb4))

L'objectif est d'associer sur chacune des hauteurs de la gamme chromatique (transpchromatic du nom de sa variable) la structure intervallique du mode gu-xian soit 3 2 2 3. Sur le papier, le calcul va s'effectuer ainsi :
do + 3 demi-tons = mi bémol + 2 = fa + 2 = sol + 3 = si bémol => c4 eb4 f4 g4 bb4
do# + 3 = mi + 2 = fa# + 2 = sol# + 3 = si =>  c#4 e4 f#4 g#4 b4  (...)
fa# + 3 = la + 2 = si = 2 = do# + 3 = mi => f#4 a4 b4 c#5 e5
etc...

Avec Opusmodus - on pourrait faire de même avec Open Music - la fonction pitch-transpose-start va calculer cette transposition chromatique en appliquant à la suite chromatique  transpchromatic la structure intervallique du mode répété 12 fois via repmode :

(setf transpchromatic (make-scale 'c4 12))
(setf repmode (gen-repeat 12 (list mode )))
(setf transpmode (pitch-transpose-start  transpchromatic  repmode)) =
=> ((c4 eb4 f4 g4 bb4) (cs4 e4 fs4 gs4 b4) (d4 f4 g4 a4 c5) (eb4 fs4 gs4 bb4 cs5) (e4 g4 a4 b4 d5) (f4 gs4 bb4 c5 eb5) (fs4 a4 b4 cs5 e5) (g4 bb4 c5 d5 f5) (gs4 b4 cs5 eb5 fs5) (a4 c5 d5 e5 g5) (bb4 cs5 eb5 f5 gs5) (b4 d5 e5 fs5 a5))

Le mode gu-xian est transposé de façon chromatique.  


Pour la transposition façon Pierre Boulez, à la "Marteau sans maître ou à Structure Ia" le processus est similaire à la différence toutefois du report de la structure intervallique non pas sur une suite chromatique mais sur chacune des hauteurs du mode gu-xian :

(setf mode (expand-chord-name (library 'modes 'china 'gu-xian) :type :pitch)) => (c4 eb4 f4 g4 bb4)
(setf rep5mode (gen-repeat 5 (list mode))) => ((c4 eb4 f4 g4 bb4) (c4 eb4 f4 g4 bb4) (c4 eb4 f4 g4 bb4) (c4 eb4 f4 g4 bb4) (c4 eb4 f4 g4 bb4))
(setf transpmode1 (pitch-transpose-start mode rep5mode)) => ((c4 eb4 f4 g4 bb4) (eb4 fs4 gs4 bb4 cs5) (f4 gs4 bb4 c5 eb5) (g4 bb4 c5 d5 f5) (bb4 cs5 eb5 f5 gs5))

Transposition façon le Marteau sans maître ou Structure IA de Pierre Boulez. La structure intervallique 3 2 2 3 est reportée sur chacune des hauteurs du mode gu-xian.  


Avec Open Music de l'Ircam - et distribué gratuitement -

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